Perte de sens, manque de vision pour la suite, incertitude, précarité, peur, désespoir, stress financier, surcharge de travail entre l’école a la maison et le télétravail ….
Pourtant, quand tout s’effondre à l’extérieur, quand on a l’impression que la fissure est toute proche, la rupture, le craquage n’est pas loin. N’y-a-t-il pas autre chose vers lequel nous pouvons tendre l’oreille et tourner le regard ?
Quand la mort m’a traversé au sens propre comme au sens figuré j’ai été anéantie. Pendant des mois.
Je vivais cette chose très étrange : une perte de sens de ma propre existence, un effondrement intérieur que rien ne semblait pouvoir arrêter, un chagrin infini, un manque de l’Autre viscéral et insoutenable, un vide sidéral. ET, parfois, de temps en temps, puis de plus en plus souvent un “ça va”, une sorte de neutralité, de tranquillité, d’impassibilité.
Je sais que cette neutralité n’était pas quelque chose pour me couper de mon état d’âme d Humaine dans le deuil.
Je sais que cette impassibilité n’était pas un refus de la situation, un déni du drame.
Je sais que cette tranquillité n’était pas une stratégie d’évitement, d’aveuglement pour ne pas voir mon effondrement.
Je le sais car je le sentais.
Physiquement, énergétique, émotionnellement.
C’était autre chose
C’est Autre Chose dans une neutralité active, bienveillante, compatissante était empathique sans empathie : elle ne semblait pas touchée, affectée. Elle ne semblait pas être traversée par tout mon bazar d’émotions et mes turpitudes mentales
Elle était concernée sans vraiment l’être.
Elle était.
C’est tout
Rien de plus. Rien de moins
Quand une vague émotionnelle arrivait j’écoutais, j’observais, je me laisser traverser parfois des larmes, parfois des sanglots, parfois des cris
Et puis comme l’océan, tantôt vaguelettes, tantôt grosses marées, tout passe.
Sans cesse.
Impermanence.
J’ai exercé cela, beaucoup : l’observation, le “être avec” sans exagérer, ni me couper. Sans intervenir. Juste Être avec.
Le mental a parfois ce travers-là : d’exacerber à son paroxysme une émotion (positive ou négative d’ailleurs), ou de s’en couper partiellement ou complètement.
Quand je m’ouvre à ces émotions vraiment, en tout authenticité, sans volonté de vivre quelque chose de spécial.
Sans volonté d’intensité ou de tranquillité.
Alors, j’entends, je perçois une autre voix.
Un autre état. Comme un autre Moi.
Le plus souvent cet Autre ne parle pas, ne me montre rien, ne fait rien.
Juste là il est. Avec moi.
Neutre, patient, bienveillant, aimant, confiant.
Et aussi solide, ancré, stable, sécure quel que soit la tempête.
Quel que soit la profondeur de l’effondrement.
Nous sommes des êtres d’émotions
Quoi qu’il arrive. Quel que soit son supposé niveau d’éveil, de conscience ou de sagesse nous ne pouvons pas faire l’économie de vivre, d’être traversé par des émotions et de les vivre vraiment.
Et, je crois, que si l’on s’ouvre, si on se met en posture d’accueillir, il y a autre chose que l’on peut percevoir.
Cela peut-être très déroutant de vivre dans son cœur, son corps et sa tête, qu’au même moment, exactement au même instant puisse cohabiter coexister la dévastation et une tranquillité. Le désespoir, l’effondrement au point de ne pas savoir comment tenir debout ET la puissance douce du Debout. Le « briser en mille morceaux » ET le rassembler. L’éparpiller, le confus ET le clair, le précis, le structurer. La mémoire comme une passoire ET le Savoir rangé, classé et disponible prêt à être délivré à un groupe. La pensée déconstruite, brouillonne, confuse ET un discours clair, construit et précis transmis à un groupe
Je ne savais pas que tous ces opposés si opposés pouvaient coexister dans un même corps, un même esprit à la même fraction de seconde
J’ai compris que le shift pouvait se faire en un instant
J’ai compris que je pouvais me faire emporter par la vague de l’anéantissement en toute sécurité et revenir sur le rivage.
J’ai compris qu’une fois de retour sur le rivage je pouvais connecter la joie.
Que malgré le malheur je pouvais en même temps vivre la douceur.
Que l’humour et le rire pouvait s’asseoir au même banc que le drame
Qu’ils pouvaient s’exprimer l’un après l’autre et même dialoguer ensemble
Qu’il était tout à fait inutile de rajouter du drame au drame.
Que j’avais le droit aussi, d’avoir envie que tout s’arrête.
Que parfois je pouvais rajouter du drame au drame mais à condition que cela soit toute conscience, en sachant bien que j’exagérais franchement le tableau. Tout ceci dans une intention précise : pour un gros effet release salutaire. Décharge dont mon système nerveux allait être bien content !
Qu’il n’y a pas de recette pour que cet Autre soit là avec moi parce que ça change tout le temps. Il n’y a pas de recette mais il y a de la pratique.
Que l’expérience n’est en rien un savoir, encore moins une expertise. Elle est valable pour une personne dans une situation à un moment T et c’est tout. L’instant d’après c’est déjà différent.
J’ai compris que je pouvais rencontrer ma douleur sans m’y confronter brutalement, sauvagement
Que je pouvais embrasser ma douleur avec tendresse et douceur plutôt que de la boxer, que de rentrer dedans la tête baissée pour m’heurter (c’est pour cette raison que je ne suis plus du tout adepte des processus dit “de confrontation”)
Dans cette situation de confinement, de futur incertain, de récession économique (et de sursaut pour notre écologie,) puissions-nous embrasser amoureusement nos peurs, nos crispations, appréhensions, colères, impatience en même temps que nous nous ouvrons à cet Autre en nous, impassible, tranquille, confiance, neutre et lumineux.
3 Responses
Magnifique texte apaisant
Merci pour ton texte Béatrice qui me parle de cet espace de Présence à l’intérieur de soi, plein de courage, de compassion, de confiance, de curiosité, qui nous fait goûter l’Unité et nous permet de traverser les épreuves. J’ai été particulièrement touchée de la façon personnelle et tellement reliée à ton expérience dont tu t’en fais le témoin. Les mots sont difficiles à trouver pour percevoir ces vibrations, et pourtant tu en as trouvés. Merci pour ça et merci aussi du cadeau du partage de ton chemin de croissance et de douceur.
Ce matin, je viens d’écrire après un rêve qui m’a réveillée en me disant : tu dois nettoyer ça, ce passé incrusté, enkysté, qui te fait encore mal et te tire en arrière. Je me demandais comment j’allais faire…. et je tombe sur votre article. Gratitude 🙏✨.