Echanges sans parole avec des femmes afghanes

C'était en juillet 2007, j'étais en Afghanistan, le périple dans ce pays avait été source de tensions. Jusqu'à Yakolang où je rencontre ses femmes. Nous n'avions aucun moyen de communication verbal en commun et pourtant c'est comme si nous nous connaissions depuis toujours.

C’était en juillet 2007, j’étais en Afghanistan depuis une semaine, en route vers Lhassa (cf article précédent). Le périple dans ce pays avait été source de beaucoup de tensions : j’avais vécu plusieurs moments qui m’avaient choqué, bouleversée, interrogée. Je me souviens notamment du passage par la KyberPass, une zone des plus dangereuses entre l’Afghanistan et le Pakistan dans un véhicule occidental repérable à des kilomètres. Nous n’avions qu’une peur : être arrêté  par les talibans très présents dans cette région. Je me souviens également d’un jour où nous avions pris un thé dans une tea-house à Kaboul avec Daniel -un collègue de voyage rencontré à Islamabad- un afghan est venu se joindre nous faisant sursauter en posant négligemment sa kalachnikov sur la table à côté de nos tasses de thé.

 

Tea House, nord Afghanistan, lieu de repas, pause thé et dortoir pour les voyageurs locaux, juillet 2007
Tea House, nord Afghanistan, sur la route vers Yakolang, lieu de repas, pause thé et dortoir pour les voyageurs locaux, juillet 2007

 

Bref le pays me laissait peu de répits et d’espace de tranquillité intérieure !

Avec Daniel nous allions de village en village pour finalement arriver à Yakolang, un village isolé dans les montagnes du nord de l’Afghanistan. Imaginez : des paysages minéraux à 3500m d’altitude, secs, balayés par les vents qui soulevaient continuellement de la poussière ocre, un soleil brûlant et au milieu de tout cela, une petite vallée verdoyante, des arbres en fleurs ou couvert de fruits, des gamins qui jouaient dans la rivière, des champs de culture d’un vert éclatant…

 

Oasis de verdure au milieu des montagnes arides du nord de l'Afghanistan, juillet 2007, photo Béatrice Maine
Oasis de verdure au milieu des montagnes arides du nord de l’Afghanistan, juillet 2007, photo Béatrice Maine

Ce village semblait figé dans le temps : un seul véhicule à moteur passait 1 ou 2 fois par semaine dans le village, ni eau courante ni électricité, aucun des repères de confort que nous pourrions associer à la vie du 21ième siècle!

Nous arrivons dans la tea house du village destiné aux voyageurs de passage. L’homme qui tient cette maison m’indique la porte donnant sur le jardin. Par celle-ci j’y aperçois une femme vêtue de tissus colorés qui me fait signe de la main de la rejoindre. Là je découvre 5 ou 6 femmes de 15 à 60 ans assise dans un verger plein d’abricotiers chargés de fruits. Tout au fond je vois une grande tente en toile marron, c’est le lieu de vie de la famille. Nos regards se croisent et je ressens intensément en une fraction de seconde la profondeur, l’épaisseur et la densité de la relation que nous sommes en train de tisser. Elles me tire par la manche pour que je les rejoignent là où elles coupent les abricots en 2 et les enfilent sur des cordelettes pour les faire sécher au soleil.

 

Passage du bus tant attendu, nord Afghanistan, juillet 2007
Passage du bus tant attendu, nord Afghanistan, juillet 2007

Ces femmes ne parlaient ni l’anglais ni le français et de mon côté je ne parlais pas l’afghan et encore moins le dialecte pratiqué dans leur région.

Nous n’avions aucun moyen de communication verbal en commun et pourtant c’est comme si nous nous connaissions depuis toujours. La communication était simple, fluide, facile, évidente, sans ambigüité. C’était stupéfiant ! J’avais l’impression d’être avec des sœurs de cœur, dans une autre dimension où la communication était dense, profonde, sincère, authentique mais sans parole. C’est comme si vous étiez en discussion avec votre meilleur ami et que c’était vos cellules qui papotaient entre elles sans demander à votre mental la permission de formuler ces échanges intimes. Je découvrais combien en certaines circonstances les mots sont pauvres et bien trop restreints pour nommer des choses tellement subtiles et sensibles.

 

Yokolang, village isolé du nord de l'Afghanistan, juillet 2007, photo Béatrice Maine
Yokolang, village isolé du nord de l’Afghanistan, juillet 2007, photo Béatrice Maine

J’en viens même à penser que c’est ce silence qui permettait d’atteindre cette profondeur d’échange et de communication entre nous. Dans tout les cas je peux dire d’expérience que les mots ne sont pas nécessaires à un échange de grande qualité avec de parfaits inconnus. Nous n’avions rien en commun si ce n’est que nous étions des femmes. La reconnaissance mutuelle avait été instantanée.

 

Yakolang, jeune mère dans le jardin d'abricotiers
Yakolang, jeune mère dans le jardin d’abricotiers

C’est ainsi que je passais trois jours à vivre ce genre de relation tout à fait inédites pour moi et tellement douce, bienveillante et reposante dans ce pays tourmenté.

Dix ans après, cette expérience reste très vivante en moi. Je sais que malgré toutes les différences – culturelles, religieuses, etc. – une partie de notre être sait reconnait quelque chose chez l’autre et sait communiquer avec lui de façon naturelle.

Encore faut-il se mettre en position de quitter ses repères habituels pour laisser émerger un mode de communication aussi rare que touchant et inoubliable. Certainement que sans le voyage je n’aurai jamais expérimenté cela de façon si intense.

Avez vous déjà vécu une expérience similaire? dans quel cadre? N’hésitez pas à partager cela en commentaire ci-dessous car cela peut enrichir d’autres lecteurs.

 

 

3 Responses

  1. Je ne crois pas avoir vécu ce genre d’expérience. Ce qui est chouette en te lisant c’est de ressentir ce lien extraordinaire qui s’est établi entre vous. Naturellement reliées et en vérité… Beau témoignage. Merci
    Cécile

  2. C’est le langage du son et le langage de l’âme…
    Un jour j’ai dirigé un atelier percussions avec de jeunes japonais Pas un ne parlait français, je ne sais dire que aligato ;o) Pourtant nous avons joué ensemble pendant 3 heures, ils comprenaient toutes mes instructions et suggestions, je comprenais toutes leurs questions !!! Ce fut magique et très joyeux …

  3. J’ai vécu exactement la même chose,c’était au Sénégal,j’avais 18 ans je suis partie à la dernière minute dans ce périple qui n’était pas prévu (il y a eu un désistement et j’ai pu partir).C’était un chantier jeune dans un village an pleine brousse,totalement isolé ,pas de routes ,pas d’électricité.En arrivant,j’ai tout de suite eu le sentiment que je revenais chez moi,et que je retrouvais ma famille!c’était bouleversant,j’ai goûté pour la première fois à la liberté et au bien être,tout me semblait normal et familier ,alors qu’on avait aucun confort,on ne pouvait pas communiquer par la parole ,tout était à l’opposé de ce que je connaissais et pourtant j’étais au paradis!!Nous communiquions par le regard,le sourire,les gestes et biensur la danse!!Ce fût un déchirement de partir et je rêve très souvent de cet endroit et je pense beaucoup à eux et elles.Le sentiment le plus fort c’est l’impression de revenir à la maison…

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