Aujourd’hui, l’envie de vous partager un épisode délicat de mon périple autour du monde à vélo réalisé entre 2005 et 2008.
Parmi les 27 000 km que j’ai parcouru, certains ont été faciles, légers et joyeux, mais comme vous vous en doutez, tous les épisodes n’ont pas eu ce délicieux goût de liberté. En relisant mes carnets de voyage, j’ai du mal à croire à cette magie ( la magie = l’âme qui agit ? ) qui peut s’opérer dans des situations périlleuses. Et pourtant c’est bien grâce à elle que je suis encore là aujourd’hui !
Une situation délicate
Nous sommes en juin 2008. Je roule dans des déserts depuis le mois de février, entre Le Tibet, la Chine et Oulan Bator.
J’ai traversé la frontière sino-mongole (avec quelques péripéties dont je parlerai peut-être plus tard) et je parcours maintenant le désert de Gobi depuis une semaine.
Mon dernier ravitaillement date de 4 jours et des 40 litres d’eau que j’ai emporté avec moi, il ne reste qu’un petit demi-litre. Il fait aux alentours de 40°, pas un arbre pour trouver un peu de répit sous ce soleil brûlant. De temps en temps je me recroqueville près de mon vélo pour être un peu à l’ombre.
A un moment donné, dans la steppe que je vois à perte de vue, il me semble apercevoir une yourte. J’ai l’impression d’en être à un quart d’heure de vélo – mais dans les déserts, la perception des distances n’est pas du tout la même que dans notre quotidien-.
J’ai soif, j’ai chaud, je commence à me sentir déshydratée et je me dis “ouf, sauvée !”. Je peux boire mon reste d’eau et dans 15 minutes, je fais le plein. Je termine ma bouteille et je pédale, je pédale, je pédale… Au bout d’une demi-heure, je commence à sentir la fatigue, un peu d”énervement et une pointe de panique. La steppe joue à l’illusionniste, à moins que ce ne soit moi qui soit victime d’hallucination visuelle! Je ne vois plus l’habitation. Il n’y a que le désert à perte de vue et plus d’eau dans mes bidons.
La crise
La panique me gagne. Mon mentale qui commence à tourner en boucle avec des “Je vais mourir ici, toute seule, raide et sèche comme toutes ces cadavres de bêtes “.
En même temps, une autre partie de moi me dit de continuer, que rien ne sert de râler et que je dois avancer. Et prier ! Je suis seule, pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde, je me sens vulnérable et impuissante. Il doit être 15 ou 16h. Il fait encore très chaud et la nuit n’est pas prête de tomber.
Je reprend la route, je roule doucement en même temps que j’essaie d’inonder mon esprit de pensées positives et optimistes : “Tout va bien, tout va bien l’Univers prend soin de moi”.
Dans ma tête se livre une bataille. Une voix fulmine “c’est mort, là c’est vraiment mort” au sens premier du terme, tandis qu’une autre affirme “tout va bien, ça va aller”. Je me souviens vigoureusement que les pensées créent ma réalité, et que mon état physique et énergétique impacte le monde extérieur…. “mouhai, enfin y parait !” ronchonne la voix pessimiste.
Mon corps est crispé par l’affolement et la peur. Me détendre, respirer profondément, pour me relâcher et laisser l’énergie de vie circuler dans mes cellules et autour de moi. Ca me demande des efforts considérables pour me calmer physiquement et maintenir un état d’esprit optimiste.
J’arrête un ou deux des rares camions qui passent à proximité de moi. Peine perdue, ils n’ont que des fonds de bouteille d’eau – et il ne me vient même pas à l’esprit de leur demander de m’emmener avec eux… ils vont dans le sens inverse (tiens on retrouve ici un biais cognitif qui s’appelle l’escalade de l’engagement et qui nous fait parfois faire des choix complètements absurdes !!!)
Les yoyos entre “c’est mort” et “ça va aller” s’intensifient. Ca dure un certain temps, 1 ou 2 heures d’espoirs – qui, rationnellement me semblent vains- entrecoupés et de doutes..
Deus Ex Machina
Et tout d’un coup, sans que je l’entende arriver avant qu’il ne soit à ma hauteur, un semi remorque violet s’arrête brusquement à une dizaine de mètres de moi. Je perçois dans l’entre bâillement de la portière une bouteille d’eau pleine d’1,5 L (ce qui est rarissime dans la région, les mongoles ont souvent de la vodka mais rarement autant d’eau !) Comme si je n’avais que quelques secondes pour saisir le précieux liquide, je me rue vers la cabine les yeux rivés sur la bouteille en tirant à grandes enjambées mon vélo. Il s’enlise dans le sable mou à deux mètres de ma cible, je le laisse tomber, l’enjambe précipitamment et m’empare du contenant qu’un bras herculéen me tend. J’aperçois le visage énorme de mon bienfaiteur perché dans son habitacle une fraction de seconde avant qu’il ne claque la portière. Le moteur vrombis, les roues m’arrivant à mi hauteur me passent à raz des pieds, je reste toute pantois dans le nuage de poussière qu’elles soulèvent. Les bras ballant et complètement abasourdie par ce “coups de grâce” je remercie …
Tirée d’affaire !
Finalement, grâce à cette intervention plus qu’inattendue et assez déconcertante, j’ai pu terminer ma journée et me faire cuire un peu de riz pour le dîner. Je rejoins finalement le lendemain un campement de travailleurs pour me ravitailler, avec la sensation d’avoir vécu quelque chose d’invraisemblable. J’en retirais cette certitude viscérale que jamais rien de grave ne pourrait m’arriver pour peu que je ne me cristallise pas dans la peur.
La steppe mongole me ferra vivre d’autres moments de ce genre, certainement pour bien faire comprendre à la partie de mon esprit cartésien douteux par automatisme et par manque de foi que l’extra ordinaire n’est pas qu’une question de chance ou de “bonne étoile”. Il est là dans le creux de nos mains, dans les replis de nos pensées et dans nos élans de vie, dans ce que nos yeux et nos cœurs perçoivent trop rarement aveuglés par l’agitation mentale et des croyances limitantes.
Ainsi, cette petite histoire vraie aujourd’hui parce que je sais que nombre d’entre vous vivez ou accompagnez des personnes qui se sentent dans des situations de dénuement et de fragilité, qui se sentent dans des impasses. Dépression, burn-out, séparation, maladie, licenciement sont autant de situations qui peuvent nous mettre dans cette sensation : tout s’écroule, on n’a plus prise sur les événements, c’est l’impasse, le fond du trou. Les situations désespérées sont rarement définitives, pour peu que l’on prenne conscience de la spirale négative dans laquelle on est embringué et qu’on trouve le courage et l’élan, seul ou non, d’en sortir pour choisir une autre spirale, vertueuse celle-là.
Volonté, lâcher-prise, confiance et foi dans les événements (en dehors de toutes considérations religieuses) sont quelques uns des ingrédients nécessaires. Une épreuve de force intérieure pour mener la lutte contre les pensées fatalistes et la partie de soi qui renonce. Facile à dire. Tellement difficile à mettre en pratique en situation de crise…
Aujourd’hui, une des raisons d’être de mes stages et formations prend racine dans ce type d’événement vécu durant mon périple à vélo. J’ai vécu plusieurs de ces situations extrêmes et lorsque j’accompagne des gens, j’ai toujours cette confiance dans les ressources profondes, invisibles et inexploitées auxquelles chacun peut avoir accès. J’aime voir émerger en eux de nouveaux mouvements intérieurs, une nouvelle voix, un regard puissamment habité de Vie qui saura leur donner la force de sortir de l’ornière; J’aime être témoin de l’émergence d’un autre visage déjà tourné vers un avenir de possibles inédits. La force de résilience est, je crois, bien plus grande que ce que notre imaginaire peut imaginer.
Et vous, avez-vous vécu des situations de crise intense dans lesquelles vous avez trouvé ces fameuses ressources insoupçonnées ? N’hésitez pas à partager vos expériences, en dehors du fait que j’aime lire ce genre de témoignage car ça nourri ma foi, ils peuvent aussi inspirer et encourager d’autres lecteurs à surmonter ce genre d’épreuves